mardi 11 octobre 2011

Jack Chick contre les zombies

À chaque fois que je publie un article sur un tract de Jack Chick, je parviens à me persuader que c'est le dernier de la série car j'ai découvert sa création la plus stupide, une supernova d'absurdité qui éclipsera à jamais toutes les autres.

Peut-être ai-je effectivement déjà présenté son tract le plus stupide, mais Jack Chick continue encore et toujours à en publier de nouveaux et je ne peux résister à l'envie de les lire, ni à l'envie de les partager avec vous.

Inutile de tourner plus longtemps autour du pot : je vais aujourd'hui vous parler de la dernière oeuvre en date de mon auteur de bande dessiné préféré, sobrement appelée...

THE WALKING DEAD?
Par Jack T. Chick


Je suis tenté de traduire ce titre par « Les morts marcheurs ? » mais je ne pense pas que beaucoup comprendraient l'allusion.


Tout commence dans un cimetière...


« Pourquoi ne bouge-t-il pas ? » s'interroge un homme caché dans un buisson au sujet d'un homme au pied nu visiblement odorant. Un escargot observe la scène, intrigué (c'est le genre de petit détail qui contribue à donner de la vie au récit).

Quelques instants plus tard, le propriétaire du pieds s'éloigne apparemment en compagnie d'une troupe de monstres. « Ils sont partis ! » crie l'homme dans le buisson avant qu'ils ne soient hors de portée de voix pour le bénéfice des lecteurs aveugles qui ne peuvent pas voir l'image. « Je suis encore en vie ! »

Jack Chick aime introduire des personnages issus de la culture populaire dans ses dessins, y compris des personnages de films qu'un bon croyant comme lui ne devrait jamais regarder (voir précédemment : Blade, Gandalf-le-noir, ...). Je ne suis pas spécialiste des films d'horreur, mais je crois y reconnaître le loup-garou, Freddy Krueger, l'homme-cacahouète-éploré, une vieille dame sans son dentier, ces deux poivrots en marcels qui semblent se trouver dans tous les bars du monde simultanément et un fan de metal en marinière.

Contrairement à ce que pense Jack Chick, les fans de metal ont généralement de bons goûts vestimentaires


Notre protagoniste sort de son buisson et entreprend de ramper jusqu'à la sortie du cimetière, mais au moment où il est sur le point de s'échapper...



...une main jailli d'une tombe...



...et l'étrangle, tandis que les monstres réapparaissent soudain pour lui expliquer qu'il fait désormais partie des leurs, ou en tout cas qu'il marchera désormais avec eux. « Nous sommes une famiiiiiiiille ! » crie la grand-mère, sans préciser si elle inclut notre héros dedans ou si elle cherche juste à lui expliquer pourquoi elle traîne avec un loup-garou et une gargouille.



Rebondissement choquant : la scène n'était qu'un cauchemar de notre héros, Danny, qui a le corps recouvert de tatouages. Dans le monde réel, ce serait le signe de manque de goût ou de self-control. Dans le monde de Jack Chick, c'est le signe qu'il s'agit d'un délinquant qui ira droit en enfer.

Quelqu'un qui aime Disney à ce point ne peut être qu'un dangereux criminel

Les habitués des tracts de Jack Chick reconnaîtront en lui le personnage du pécheur qui n'a pas conscience des dangers encourus par son âme, qui connaîtra la rédemption juste avant de mourir ou en tout cas dans les dernières cases du tract.


Danny vit apparemment avec son oncle et sa tante. Il leur raconte son cauchemar autour du petit déjeuner et explique qu'il y devenait lui aussi un mort-vivant (comme le sont le loup-garou et un nombre gravement sous-estimé de grand-mères). Son oncle lui répond qu'il en est effectivement un.

Ce n'est pas un nouveau cauchemar mais bien l'apparition du second personnage récurrent des tracts de Jack Chick, le vrai croyant qui sait tout sur tout et qui est donc dans son bon droit quand il dit des choses horribles aux gens.


Danny fait remarquer à son oncle que ce n'est pas une chose qui se dit et qu'il est en train de se faire insulter parce qu'il lui a confié un cauchemar, mais l'oncle insiste que c'est la vérité : Danny est mort spirituellement et va aller droit en enfer.


Sa tante suggère à Danny que son cauchemar peuplé de zombies était peut-être un message envoyé par Dieu, qui s'est décidément modernisé depuis l'époque des buissons en feu et des tablettes de pierres.

Voilà qui confirme ma théorie selon laquelle George Romero est Dieu ou l'une de ses manifestations.


Le message de Dieu : Danny doit devenir born again, un terme principalement utilisé par les protestants évangéliques américains du style de Jack Chick pour désigner les leurs. Danny se moque de cette expression, qu'il a entendue en prison dans la bouche de beaux parleurs cherchant à obtenir des remises de peine, anecdote qui est apparemment décrite dans les Corinthiens.

L'oncle insiste que ce n'est pas une blague, car Jésus lui-même l'a dit...


...et Danny l'encourage à lui expliquer ce que born again signifie donc. « OK », répond l'oncle avant de lui expliquer la création d'Adam.



Dieu a créé l'homme à son image, c'est-à-dire comme une trinité : corps, âme et esprit. Il a ensuite mis en garde sa création de ne pas manger le fruit défendu de la connaissance du bien et du mal, mais l'a fait dans un anglais Shakespearien pour s'assurer qu'Adam n'ait aucune chance de le comprendre.



Le jour même, Adam a mangé le fruit, sa connexion spirituelle avec Dieu a été brisée et son esprit est mort (Ève n'est pas suffisamment importante pour apparaître dans cette version des faits, dans laquelle Adam se précipite apparemment sur le fruit dès l'instant où Dieu tourne le dos). Depuis cette époque, tous les êtres humains ont un corps et une âme « vivants », mais un esprit mort - ce qui fait de nous des ennemis de Dieu.

Je sais que l'idée que nous naissons tous souillés par le péché originel est assez répandue parmi les croyants, mais je ne peux pas m'empêcher de penser qu'elle fait passer le tout-puissant pour un mafioso qui entretiendrait une vendetta vieille de plusieurs milliers d'années contre nous parce que l'un de nos ancêtres a volé un fruit dans son jardin.

« Au moins, j'ai bon coeur » se console Danny, qui vient coup sur coup de faire un cauchemar où il devenait un zombie et d'apprendre que son propre esprit est mort.

« Non, tu n'as pas bon coeur. » rétorque l'oncle, qui considère apparemment qu'une crise de larmes fait partie des éléments essentiels d'un petit déjeuner équilibré. « Nos coeurs sont pourris et Dieu nous dit ce qu'il y a dedans. »



L'oncle exécute un magistral combo de trois citations imbriquées pour prouver que la Bible affirme que notre coeur est pourri. Il va jusqu'à illustrer ses propos par un dessin d'un coeur pseudo-réaliste doté d'un visage patibulaire de sorte que même les lecteurs analphabètes comprennent l'idée générale.

Au passage, peut-être ai-je trop d'imagination mais le visage de ce coeur me semble familier...


Danny est abattu et demande à son oncle s'il a encore d'autres mauvaises nouvelles à lui annoncer. L'oncle se dit qu'il serait bête de passer à côté d'un triplet combo de mauvaises nouvelles et explique à son neveu que son corps va vieillir et mourir, mais que son âme va exister éternellement.

« Mon âme ? Qu'est-ce que c'est que ça ? » demande Danny.



« Ton âme est toi, Danny. Elle est dans ton coeur et me regarde. Elle a un corps comme toi, mais c'est une sorte de corps différente. Ce n'est pas un corps physique. Tu ne peux pas la voir maintenant, mais tu la verras après ta mort ! »

Danny demande si l'âme est donc comme un fantôme, mais l'oncle explique patiemment :

« Non, Danny. Elle a une forme corporelle comme nous, avec des bras et des jambes et peut porter des robes blanches. Elles sont vivantes et peuvent s'asseoir sur des trônes. »

L'oncle appuie ses révélations vestimentaires par des passages de la Bible, ce qui est une bonne chose car c'est la définition la plus stupide de l'âme que j'ai jamais lue. « L'âme apparaît quand tu es mort mais elle est vivante, elle ne ressemble pas à un fantôme mais elle a une forme d'être humain et peut porter une robe blanche. Elle peut s'asseoir sur un trône, mais pas sur un fauteuil ni une chaise en osier. Elle peut voir, penser, entendre et parler, mais elle ne peut ni faire des claquettes ni rouler sa langue en U ».

S'agit-il de réponses à des questions spécifiques que se posent les lecteurs typiques d'un tract de Jack Chick ? Y a-t-il des gens qui s'inquiètent de la mode au paradis et qui se demandent si leur âme devra passer l'éternité debout et supporter des crampes aux jambes terribles ?

« Dieu, parle-moi ! Mon âme pourra-t-elle porter un polo à col roulé noir ou serai-je obligé de porter l'une de ces horribles robes blanches qui me font paraître plus gros ? »



L'oncle explique que l'âme est éternelle et raconte l'histoire vraie d'un homme riche précipité aux enfers, qui y brûle aujourd'hui encore et continuera à cuire pour le reste de l'éternité.


« Nous sommes tous des zombies. Les esprits à l'intérieur de nos âmes sont morts à cause d'Adam. » Citation biblique, puis : « Toute l'humanité est perdue ! Cependant... Jésus a quitté le paradis pour créer une voie nous permettant d'échapper à l'enfer ».

Les hommes morts avant Jésus sont donc selon toute vraisemblance tous allés en enfer.
Dans son immense gentillesse, Jack Chick prend soin d'indiquer par une flèche où se trouve le paradis, c'est-à-dire dans l'espace. Son dessin n'est toutefois peut-être pas à l'échelle, étant donné qu'il représente aussi un nuage à une altitude à laquelle on ne trouve en temps normal que la Lune.


À moins de « renaître » spirituellement, nous sommes donc condamnés à l'enfer. Heureusement, l'oncle explique que, grâce au sacrifice de Jésus, il nous est possible d'y échapper :


Jésus s'est en effet sacrifié pour nos pêchés, ce qui implique apparemment qu'il est désormais possible de faire renaître nos esprits et d'aller au paradis.

Je suis sans doute la dernière personne au monde qui devrait critiquer la manière dont les autres dessinent, mais je trouve dommage que le seul personnage de tout ce tract consacré aux morts-vivants qui ressemble réellement à un zombie soit Jésus portant sa croix. Chick parvient à représenter notre sauveur supposé d'une façon qui le rend plus effrayant que les monstres du début du tract.

Je suspecte son intérêt soudain pour le bien-être de nos esprits d'être lié au fait qu'ils constituent l'alpha et l'oméga de son régime alimentaire.



En bref, acceptez Jésus comme votre sauveur personnel et vous irez au paradis :


Comme le démontre clairement ce schéma, quand vous acceptez Jésus comme votre sauveur, il entre dans votre âme en compagnie de Dieu et du Saint-Esprit, ce qui a pour effet de faire revenir à la vie votre esprit mort et donc de sauver votre âme.

Grâce à cela, vous aurez non seulement votre nom dans le livre de la vie, qui sert de liste d'invités pour les videurs qui gardent l'entrée du paradis, mais aussi - et je n'invente rien - un manoir au paradis. Que demander de plus ?

Danny a appris sa leçon : il n'a peut-être pas été convaincu de ne plus être un délinquant qui se retrouve en prison pour manque de goût aggravé dans le choix de ses tatouages, mais il a désormais peur de l'enfer et a demandé à Jésus de le sauver. Mission accomplie !


Évidemment, si vous ne faites pas comme Danny, vous vous retrouverez en enfer en compagnie de la plus pathétique imitation de la famille Adams.


En bonus track, un coupon expliquant les instructions à suivre pour aller au paradis
et vous rappelant d'acheter le livre de Jack Chick. Merci qui ?


Récapitulons ce que nous avons appris aujourd'hui :
  • Si vous rêvez que des zombies vous poursuivent, Dieu essaye peut-être de vous transmettre un message.
  • À moins d'être un chrétien born again, votre esprit est mort, vous êtes l'ennemi de Dieu et vous irez en enfer.
  • Votre âme vous ressemble parfaitement et peut porter une longue robe blanche ou s'asseoir sur un trône.

Apparemment, une âme peut aussi spontanément vous exploser à la figure lorsque vous ouvrez un livre

  • Contrairement à ce que suggéraient les tracts précédents, accepter Jésus dans votre coeur est une mauvaise idée, car votre coeur est pourri et ressemble à Shrek. Il faut plutôt laisser Jésus entrer dans votre âme pour qu'il ressuscite votre esprit, ce qui a l'avantage d'ajouter votre nom au livre de la vie et de vous faire gagner les clés d'un manoir au paradis*.
* Offre valable dans la limite des stocks disponibles, d'autres tracts expliquent clairement que les noms inscrits dans le livre de la vie sont prédéterminés et que leur nombre est fini.

Je profite du fait que nous parlons de Jésus et de zombies pour signaler l'invention américaine de Jesus Ween, la réponse catholique à la fête d'Halloween. Pourquoi, en effet, encourager vos enfants à s'amuser à se déguiser en monstres démoniaques et à faire du porte à porte pour réclamer des bonbons alors que vous pourriez faire l'économie d'un costume et les convaincre de faire du porte à porte pour répandre la bonne parole ?

Ce n'est pas une blague.

Voilà qui conclut l'article de ce soir. Serai-je assez paresseux pour laisser celui-ci en première page jusqu'à Halloween ou pas ?

Lisez vite la citation sans rapport qui suit pour en savoir plus, ou en tout cas pour ne pas en savoir moins, ou en tout cas pour tromper votre ennui le temps de vous rapprocher un petit peu de l'instant futur où vous découvrirez si oui ou non je suis phénoménalement fainéant.


Vivre dans un camp de nudistes doit sans doute gâcher tout le plaisir qu'on attend d'Halloween.
Origine inconnue